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Le Temple des Cent-Dents 7/7

D’abord ce fut un son qui l’aida à émerger. Le martèlement de la pluie, comme une armée de rats au pas de course. Lex ouvrit les yeux et se redressa lentement. La nuit était tombée dehors, mais la pièce semblait telle qu’avant son évanouissement. La douleur dans sa tête s’était amenuisée mais restait là, tapie, prête à sourdre au moindre effort.

Vant s’était volatilisé.

Il n’a tout de même pas réussi à… se téléporter ?

Avec la quantité de magie qui avait saturé la pièce, ça n’aurait rien eu d’étonnant, même si ce type de sortilège était oublié depuis longtemps, et que peu d’érudits y consacraient encore leurs recherches.

Lex se leva, parvenant à tenir la douleur à l’écart. Son bras gauche restait engourdi. Il alla ramasser son bouclier et se le suspendit dans le dos, puis remit son épée au fourreau. Les trois critonniens n’avaient pas bougé. Le malheureux troisième s’était apparemment empalé sur sa lance pendant l’étrange explosion.

Lex jugea qu’il avait eu de la chance. Sans son casque, son crâne eût bien risqué d’être fendu. Ledit casque d’ailleurs était bien cabossé. Il n’osait pas encore l’enlever, de crainte qu’une partie de sa cervelle se répandît librement.

Il fallait partir. Il préférait en effet affronter le marais de nuit et sous la pluie que rester dans ce temple, bien que la chape qui avait pesé sur ces vieilles pierres semblât avoir été levée avec la disparition de l’orbe.

Le vacarme de la bataille n’avait pas attiré d’autres gardes. On pouvait donc en déduire qu’il n’y en avait pas. Et comme Lex n’avait aucune envie de retourner dans les profondeurs obscures pour y croiser de nouveau des crabes géants et autres créatures, il monta les marches vers l’ouverture et écarta les lianes. La plateforme supérieure de la pyramide, présentement battue par la pluie qui avait redoublé, s’offrait à lui. Une demi-douzaine de silhouettes immobiles montait la garde. En approchant, il constata qu’il s’agissait de cadavres de critonniens plantés sur des pieux verticaux. Ils avaient été disposés là pour qu’on les prît de loin pour des sentinelles. Les corps étaient plus ou moins frais, plus ou moins difformes, et aucun n’avait de dents.

C’est alors qu’il comprit que le temple ne devait pas son nom aux cent dents censées s’y trouver, mais précisément à leur absence… ces pauvres bougres étant probablement les Sans-Dents en question.

Il se dirigea lentement vers un des flancs de la pyramide et se mit à descendre avec précaution l’escalier vers le sol. Même en attendant le matin pour partir en bateau, le retour seul dans le marais allait être difficile. Mais au moins aurait-il le temps de se remettre de la trahison de Vant et de réfléchir à la suite des événements.

Le Temple des Cent-Dents 6/7

Ils débouchèrent dans une pièce au sommet de la pyramide. A leur gauche, une volée de marches montait jusqu’à une ouverture masquée de lianes donnant sur le jour pluvieux. La salle était éclairée de torches glissées dans des appliques métalliques. Au fond, sur une estrade de pierre, assis dans une sorte de  trône, se tenait un vieux critonnien qui portait un bâton, au bout duquel flamboyait une gemme blanche. A ses côtés, immobiles comme d’ignobles statues, deux créatures qui ressemblaient à de grands critonniens costauds les scrutaient. L’un d’eux brandissait une énorme masse en bois. L’autre s’appuyait sur une lance. Lex se demanda ce qui clochait chez ce dernier. Il mit un bref moment avant de comprendre que la créature possédait trois bras.

Vant chuchota dans un souffle :

“Le voilà, l’orbe !

-En bonne compagnie, oui”, répondit Lex.

Il ne voyait pour le moment aucun moyen simple de s’approprier la gemme, sans compter que le critonnien assis avait commencé à se lever. C’était probablement lui qu’on prenait pour un dieu.

Tout alla très vite.

Une brève lumière jaillit du bâton de Vant, et aussitôt une sorte de globe translucide, aux reflets bleutés, parcourus de minuscules éclairs, enveloppa le mage. Le faux dieu avait brandi le bâton portant l’orbe, une simple branche tordue mais de belle taille. Un rayon verdâtre dirigé vers Vant en jaillit mais fut stoppé par l’enveloppe bleutée, a priori un bouclier magique pour ce que Lex en savait. Les deux gardes commencèrent à courir vers Vant. Ils étaient grands et puissants, mais plutôt patauds.

Lex jeta un coup d’oeil sur le mage, résolu, totalement concentré sur son adversaire. Vant eut un geste de la main gauche en direction du garde à trois bras, comme s’il chassait un insecte importun. Le critonnien, qui s’apprêtait à lancer son javelot, se figea, tel une statue.

Lex, qui sentait s’évaporer l’assurance que lui avait donnée le combat contre le crabe géant, redevint alors une simple machine à neutraliser et à tuer. Il se dirigea vers le critonnien à la masse brandie, qui se tourna vers lui et abattit son arme. Le bouclier intercepta le coup, et amortit le choc. Un peu seulement. Lex avait beau être un soldat aguerri, il avait rarement affronté un adversaire aussi fort physiquement. L’onde de choc du coup traversa son bras, générant une douleur fulgurante et un engourdissement mal venu. Il vacilla. Il ne restait qu’une chose à faire : lâcher le bouclier devenu inutile au bout de son bras inerte. Ce qu’il fit pendant que le critonnien brandissait lentement des deux mains sa masse au-dessus de la tête. Lex roula tandis que l’arme s’abattait, pulvérisant une dalle de pierre. D’un geste rapide, il enfonça profondément la pointe de son épée dans le ventre du monstre. Le critonnien gémit et porta une main à sa blessure. Lex frappa alors le bras qui tenait encore la masse, pour le trancher net. C’était présomptueux mais le critonnien lâcha l’arme sous la morsure de la lame. Lex l’acheva alors en plein coeur. La créature difforme s’effondra.

Lex se retourna. Toujours emmailloté dans son globe protecteur, Vant dirigeait les éclairs produits par son bâton vers le faux dieu, qui les parait avec le sien. De temps en temps, un flash vert partait de l’orbe pour ricocher sur la protection de Vant. Le deuxième garde était toujours figé dans sa posture belliqueuse.

C’est alors qu’une boule d’énergie se forma autour de l’orbe et jaillit vers le mage. Deux choses se produisirent simultanément quand elle atteignit sa cible : le bouclier translucide disparut, et le bâton de Vant cassa net. Ce dernier se retrouva sans défense, comme nu, un brandon inutile à la main. Le prêtre émit un bruit qu’on aurait juré être un jappement de satisfaction. Lex n’hésita pas. Son adversaire lui tournait le dos, et il n’eut aucun remords à lui enfoncer son épée entre les côtes, transperçant sa poitrine. Il y eut alors un grand bruit, un éclair blanc, et Lex fut projeté dans les airs, pour atterrir brutalement. Tout devint noir…

La tête lui tournait et sa vision était brouillée. Tout semblait teinté de rouge, et il ne savait plus si les éclairs qu’il distinguait étaient réels ou pas. Il se leva et eut un haut-le-coeur. Il n’allait tout de même pas dégobiller en plein milieu d’une bataille !

Mais de combat, il n’y avait plus : le prêtre, l’épée encore plantée en pleine poitrine, se tenait immobile, debout mais replié sur lui-même, au milieu d’un globe d’énergie semblait-il généré par l’orbe. Lex tituba vers Vant mais ne put aller bien loin. Il tomba à genoux, une vive douleur martelant l’intérieur de son crâne.

Vant lâcha les restes de son bâton, et leva une main ouverte. L’orbe et son support semblèrent tomber horizontalement vers lui, puis le corps du prêtre s’affaissa brutalement.

Le mage se tourna vers un Lex qui avait de plus en plus de mal à rester conscient.

“Merci pour votre collaboration, capitaine. L’orbe est trop précieux pour que je le laisse à n’importe quel archimage. Je le garde. Transmettez mes salutations au Plénipotentiaire Khalkâ !”

Des lueurs commencèrent à tournoyer autour de lui. Il sembla clignoter. Puis il disparut, et ce fut le silence. Et le noir pour Lex, qui s’effondra face contre terre.

Le Temple des Cent-Dents 5/7

La pièce était tellement grande que la lumière aveuglante de Vant ne suffisait pas à distinguer ses murs. A la limite de leur vision, vers le milieu de la salle, débutait un escalier en colimaçon grimpant vers le sommet de la pyramide. Autour d’eux, des débris, des cadavres. Et même habitués à l’horrible odeur des lieux, ils ne purent réprimer un haut-le coeur.

Vant s’approcha d’un des corps.

“On dirait un critonnien qui aurait subi d’affreuses déformations. Ça ne doit pas faire très longtemps qu’il est mort.”

Le cadavre exhibait en effet oedèmes et plaies purulentes. La créature n’avait plus de dents et à la place du nez s’ouvrait un trou dégoûtant.

“C’est un des cultistes ?” s’enquit Lex.

“Sans aucun doute, si j’en juge par ce qui lui tient lieu de vêtements”.

Il y avait dans la pièce d’autres corps, à des stades différents de décomposition. Une bonne dizaine, rien que dans leur sphère de vision. Les dieux seuls savaient combien en cachaient encore les ténèbres autour d’eux.

Une sorte de chuintement retentit soudain à la limite de la zone éclairée, derrière eux. Bouclier brandi, Lex se retourna très vite et bondit vers Vant pour le tirer brutalement derrière lui. Un claquement sec se fit entendre et, à l’endroit où se trouvait la poitrine de Vant une fraction de seconde auparavant, fusa une sorte de lance. De l’obscurité émergea un gigantesque crabe, de la taille d’un jeune cheval, de la pince duquel avait jailli la pointe en question : un appendice de chitine redoutablement effilé. L’arme se rétracta et la monstruosité émit un sifflement indigné, puis se servit de sa deuxième pince comme un gourdin pour tenter d’assommer Lex. Celui-ci para facilement le coup avec son épée mais, avant même qu’il pût réagir, la pointe se détendit de nouveau. Ses réflexes de soldat agirent à sa place et le bouclier vint immédiatement s’interposer. La pointe s’enfonça dans le métal comme dans du bois, le déformant sans le percer. L’animal eut un sifflement, cette fois-ci de douleur, semblait-il. Lex en profita : il bondit, épée en avant, vers ce qui ressemblait à une bouche, et entama d’estoc la chair plus pâle et plus tendre à la base de la carapace de la créature. Celle-ci siffla à nouveau, bien plus fort, et fit claquer sa pince vers Lex. Mais ce dernier se tenait si près du monstre que l’appendice ne parvint pas à l’atteindre. Il put taillader à sa guise jusqu’à ce que le crabe finisse par devenir silencieux et inerte.

Lex se retourna, haletant. L’adrénaline qui courait dans ses veines se dissipait lentement. Le combat avait complètement évacué la tension qui l’habitait, et il se sentait à présent plein d’allant, résolu à terminer cette mission au plus vite.

Vant était resté pétrifié pendant le court moment qu’avait duré l’attaque. Il fixait ce qui restait de la créature, hébété.

“C’est un crabe empaleur. Assez courant dans le marais. Un redoutable prédateur. Mais le plus gros spécimen que j’aie vu ne dépassait pas la taille de votre poing…”

Lex regarda Vant sans rien dire. Puis il soupira.

“Cet orbe semble bien avoir de curieux effets. Le mieux serait de le trouver au plus vite et de déguerpir illico.”

Cela dit, il se dirigea résolument vers les marches de l’escalier. Vant lui emboîta le pas.

Le Temple des Cent-Dents 4/7

La première chose qui les frappa quand ils entrèrent dans le temple, c’est l’odeur, qui les prit tout de suite à la gorge. C’était un mélange à peine supportable de pourriture végétale et de putréfaction, mâtiné de remugles de charogne. La bouche ouverte, ils attendirent que leur vue se soit adaptée à l’obscurité à peine troublée par le jour pluvieux. Ils distinguèrent des débris jonchant le sol dans un corridor qui semblait déboucher quelques toises plus loin dans une salle plus grande. Au-delà, le noir absolu. La lumière de l’entrée ne portait pas jusque-là.

“Vous avez de quoi nous éclairer ?’

Vant ne répondit pas, mais ferma les yeux pour se concentrer. L’air sembla crépiter autour de lui dans la pénombre, et l’extrémité du bâton qu’il portait s’illumina progressivement. Une lumière blanche aveuglante les engloba sur deux ou trois toises.

Vant jura.

“C’est ahurissant la puissance que dégage cet orbe ! D’ordinaire j’aurai juste pu nous éclairer dans un rayon d’une toise maximum, et avec une intensité bien moindre. Vous vous rendez compte ? L’orbe doit être en haut de la pyramide, donc encore loin de nous, et déjà il a un effet très net sur la magie !”

Lex resta silencieux. Tout cela ne lui disait rien qui vaille, cette sorcellerie, ce silence, cette étrange absence de toute vie dans les alentours.

“Restez derrière moi”, ordonna-t-il. Le bouclier brandi, il avança vers le bout du couloir.

Le Temple des Cent-Dents 3/7

Lorsque Marcus Lex était arrivé à Eaux-Boueuses, il pleuvait, évidemment. La ville se tenait à l’orée du marais, telle un spectre veillant sur un improbable enfer aquatique. Elle était bâtie sur les ruines d’une ancienne cité du Premier Empire. Des arches de pierre blanche brisées, des amoncellements de maçonnerie un peu partout, et des maisons plus récentes, entre le style en vogue dans le Royaume de Sel et les huttes typiques critoniennes. Tout cela donnait la nette impression d’un gigantesque squelette d’une espèce inconnue dans les restes duquel se seraient réfugiés de petits animaux craintifs.

On lui avait indiqué de contacter un certain Vant, mage de la Guilde. Il s’était donc dirigé en premier lieu vers l’auberge, histoire de se reposer et de se restaurer. Des canaux d’eau sale serpentaient entre les touffes d’herbe et la boue était partout. Lex avait pensé que la mission serait sans doute pénible. L’air sec et frais de Dimma lui manquerait plus que tout dans cette région maudite.

La Guilde des Mages occupait une ancienne crypte souterraine non loin de là. Sa porte en pierre était typique du Premier Empire, identique à celles de dizaines d’autres cryptes similaires qu’il avait dû nettoyer pour le Royaume. Aussi n’avait-il pu s’empêcher de porter la main à la garde de son épée quand il avait franchi le seuil, par réflexe. Mais ici, point d’araignées géantes ou de cadavres animés. Seul régnait un calme studieux tandis qu’il avait demandé son chemin au premier disciple venu.

Vant était un Sellien – un natif du Royaume de Sel, au-delà des montagnes du Nord. Plutôt grand, mince, le visage comme taillé à la dague, il ne devait pas avoir plus de trente ans.

“Ah, bonjour capitaine, vous devez être l’envoyé du Royaume ?

– Bonjour. Ce sont en effet les instances du Royaume qui m’envoient. Le Plénipotentiaire Khalkâ, pour être précis.

– Vous avez lu le rapport que je lui avais fait envoyer ?

– Oui. Apparemment il tient en haute estime l’intérêt que vous portez à cette relique.

– Si j’en crois les grimoires et documents que j’ai pu accumuler au fil des années, la puissance de l’Orbe d’Influence permettrait de donner un avantage certain au Royaume dans la Guerre des Quatre.

– Quel genre de puissance ?

– Hum, capitaine, sauf votre respect, vous n’êtes pas mage. Je doute que vous compreniez bien les détails que je pourrais vous donner.”

Lex s’était demandé si le jeune homme faisait exprès de le provoquer ou si l’insulte était involontaire.

“Essayez quand-même”, lui avait-il intimé d’une voix bourrue.

“Eh bien, vous savez que nous autres, mages, parvenons à canaliser et utiliser l’énergie invisible mais présente à tout instant dans l’air.

–  Oui, en effet.”

Curieusement, à chaque fois qu’on lui parlait de magie, Marcus Lex sentait la migraine le gagner. Il avait touché le pommeau de son épée, rassurant objet métallique.

“Eh bien l’Orbe est un catalyseur, une sorte d’amplificateur, qui focalise l’énergie du mage qui l’utilise et augmente considérablement sa puissance.

– Je comprends. Mais la personne qui le détient actuellement connaît-elle son pouvoir ?

– Il y a de grande chances, oui. Mes recherches m’ont permis de le situer dans un temple critonnien ancien, à quelques lieues d’ici. La tribu vénère un dieu local que j’ai trouvé représenté portant un sceptre à l’extrémité lumineuse. Probablement cet orbe monté sur un bâton de mage classique.

– Nous allons donc affronter un dieu qui lance des sorts et qui possède une babiole décuplant ses pouvoirs ? Mmmmh, tout ce que j’aime.

– Cela risque de ne pas être simple, en effet, mais le jeu en vaut la chandelle, j’en suis certain.

– C’est manifestement aussi l’avis des pontes du Royaume. Au moins il y aura de l’action. Quand partons-nous ?

– Nous devons d’abord trouver un guide.

– Vous ne connaissez pas la région ?

– Oh que si, je la connais même trop bien. Impossible de trouver son chemin dans le marais si on ne dispose pas d’un guide critonnien. Je connais un type un peu louche qui pourrait nous aider.

– Louche ?

– Oui, disons qu’il gagne sa vie d’expédients. Mais il connaît bien le marais.

– Bien, dites-moi où le trouver. Plus vite on sera partis de ce trou humide, mieux ça vaudra.”

Passablement énervé, l’atmosphère oppressante et moite de la ville lui pesant, Lex s’était résolu, une fois le nommé Nage-dans-les-Ombres recruté, à se reposer dans l’une des chambres spartiates de l’auberge. Les insectes ne l’avaient pas épargné cette nuit-là, et au matin, il avait rejoint ses compagnons avec soulagement.

Mais le voyage ne s’avérerait pas plus reposant.

Le Temple des Cent-Dents 2/7

“Bien, Vant, on y va, on va essayer de retrouver la trace de ce maudit lézard.”

Vant ouvrit les yeux et se dirigea avec précaution vers la barque qui les avait amenés. La robe de la guilde des mages d’Eaux-Boueuses dont il était vêtu s’avérait vraiment peu pratique dans ce bourbier. Nage-dans-les-Ombres avait nagé jusqu’au temple : les critonniens étaient amphibies. Mais il était hors de question de faire la même chose pour eux. L’armure lourde de Lex l’entraînerait au fond en un rien de temps. Le soldat frissonna en s’imaginant barboter dans cette eau vaseuse où pullulaient il ne savait quelles bestioles. Il fit faire un quart de tour à l’esquif et le poussa vers la rive opposée, leur permettant de s’éloigner du temple et d’accoster en terrain couvert. Il ne leur resterait ensuite qu’à se frayer un chemin jusqu’à l’édifice.

La traversée terminée, ils mirent pied à terre à l’abri des arbres bordant la rive. Là, une route, où ce qui en tenait lieu dans cet endroit perdu, menait au temple. Lex dégaina et avança avec prudence, suivi par Vant qui ne semblait guère à son aise, empêtré dans sa robe et encombré de son bâton. Au bout d’une centaine de toises Lex s’arrêta et chuchota : “On bifurque et on contourne, on essaie de trouver l’entrée dérobée”.

Les abords du temple étaient déserts, la jungle étrangement silencieuse. Lex sentait un malaise monter en lui. On aurait dit que l’édifice écrasait les environs, happait tout son, aspirait toute vie.

Ils arrivèrent sans encombre derrière le temple. Entre les lianes qui poussaient ici à leur guise, une tache sombre apparaissait en effet à la base du mur. Une des pierres avait basculé et ouvert un passage vers l’intérieur. En approchant, ils virent que le bloc était maintenu en place par Nage-dans-les-Ombres lui-même, arqué dans une position étrange. Le critonnien ne les entendit pas arriver. Il avait un pieu de la taille d’un bras planté dans la gorge.

Vant renifla.

“Ce type n’était pas si doué pour désamorcer un piège, finalement.”

Le mage semblait avoir regagné de sa superbe.

“C’est bizarre quand même. Pas un seul cultiste dans les environs. Ils ne surveillent pas les abords de leur temple ?

– Ils ne s’attendent sans doute pas à notre visite. Qui serait assez fou pour venir ici ?

– Oui, comment imaginer que quelqu’un viendrait leur dérober leur bien le plus précieux ?

– A vrai dire, l’Orbe d’Influence ne leur appartient pas plus qu’à nous. Mais il nous sera beaucoup plus utile.

– Il sera plus utile au Royaume de Sel, Vant, pas à nous.

– Oui, la nuance s’imposait.”

Le mage sourit, puis désigna l’entrée obscure.

“Après vous, capitaine”.

Le Temple des Cent-Dents 1/7

“Est-ce que nous ne devrions pas faire quelque chose ?” demanda Vant sans même ouvrir les yeux.

Cela faisait en effet presque deux heures que le lézard était parti reconnaître le temple. Il aurait dû revenir depuis longtemps.

Le capitaine Marcus Lex releva la tête en soupirant. Il était agenouillé dans la boue, près d’une plante géante dont il ne connaissait pas le nom, au bord d’une étendue d’eau saumâtre parsemée de roseaux nains. La pluie était omniprésente, la terre collante, l’eau dégoulinait sur son bouclier et martelait son casque métallique. Devant lui, à moins d’une encablure, au milieu d’une étroite langue de terrain, se dressait leur destination. Le Temple des Cent-Dents, comme on l’appelait à Eaux-Boueuses. C’était une construction ancienne en pierre de type pyramidal, à la pointe tronquée, flanquée d’escaliers massifs et dont les côtés croulaient sous les plantes grimpantes. L’entrée principale, certainement au sommet,  paraissait bien gardée, du moins de là où il attendait, ruisselant d’humidité. Nage-dans-les-Ombres, le lézard recruté à Eaux-Boueuses, était persuadé qu’il y avait une autre entrée, plus discrète, quelque part à la base d’un des côtés, si l’architecture de ce temple correspondait à celles de constructions critonniennes plus récentes.

Le Temple des Cent Dents servait de lieu de culte à une tribu de critonniens primitive, farouche et violente. Il se trouvait au coeur du Marais Noir, à une dizaines de lieues d’Eaux-Boueuses, dernier point de civilisation avant les profondeurs humides, sombres et dangereuses du marécage. L’origine du nom était oubliée, mais on savait qu’il valait mieux éviter les environs si on tenait à la vie. De fait, personne ne s’aventurait aussi loin dans le Marais Noir, sauf avec une bonne raison.

Et Marcus Lex en avait une.

A suivre…