Le Temple des Cent-Dents 3/7

Lorsque Marcus Lex était arrivé à Eaux-Boueuses, il pleuvait, évidemment. La ville se tenait à l’orée du marais, telle un spectre veillant sur un improbable enfer aquatique. Elle était bâtie sur les ruines d’une ancienne cité du Premier Empire. Des arches de pierre blanche brisées, des amoncellements de maçonnerie un peu partout, et des maisons plus récentes, entre le style en vogue dans le Royaume de Sel et les huttes typiques critoniennes. Tout cela donnait la nette impression d’un gigantesque squelette d’une espèce inconnue dans les restes duquel se seraient réfugiés de petits animaux craintifs.

On lui avait indiqué de contacter un certain Vant, mage de la Guilde. Il s’était donc dirigé en premier lieu vers l’auberge, histoire de se reposer et de se restaurer. Des canaux d’eau sale serpentaient entre les touffes d’herbe et la boue était partout. Lex avait pensé que la mission serait sans doute pénible. L’air sec et frais de Dimma lui manquerait plus que tout dans cette région maudite.

La Guilde des Mages occupait une ancienne crypte souterraine non loin de là. Sa porte en pierre était typique du Premier Empire, identique à celles de dizaines d’autres cryptes similaires qu’il avait dû nettoyer pour le Royaume. Aussi n’avait-il pu s’empêcher de porter la main à la garde de son épée quand il avait franchi le seuil, par réflexe. Mais ici, point d’araignées géantes ou de cadavres animés. Seul régnait un calme studieux tandis qu’il avait demandé son chemin au premier disciple venu.

Vant était un Sellien – un natif du Royaume de Sel, au-delà des montagnes du Nord. Plutôt grand, mince, le visage comme taillé à la dague, il ne devait pas avoir plus de trente ans.

“Ah, bonjour capitaine, vous devez être l’envoyé du Royaume ?

– Bonjour. Ce sont en effet les instances du Royaume qui m’envoient. Le Plénipotentiaire Khalkâ, pour être précis.

– Vous avez lu le rapport que je lui avais fait envoyer ?

– Oui. Apparemment il tient en haute estime l’intérêt que vous portez à cette relique.

– Si j’en crois les grimoires et documents que j’ai pu accumuler au fil des années, la puissance de l’Orbe d’Influence permettrait de donner un avantage certain au Royaume dans la Guerre des Quatre.

– Quel genre de puissance ?

– Hum, capitaine, sauf votre respect, vous n’êtes pas mage. Je doute que vous compreniez bien les détails que je pourrais vous donner.”

Lex s’était demandé si le jeune homme faisait exprès de le provoquer ou si l’insulte était involontaire.

“Essayez quand-même”, lui avait-il intimé d’une voix bourrue.

“Eh bien, vous savez que nous autres, mages, parvenons à canaliser et utiliser l’énergie invisible mais présente à tout instant dans l’air.

–  Oui, en effet.”

Curieusement, à chaque fois qu’on lui parlait de magie, Marcus Lex sentait la migraine le gagner. Il avait touché le pommeau de son épée, rassurant objet métallique.

“Eh bien l’Orbe est un catalyseur, une sorte d’amplificateur, qui focalise l’énergie du mage qui l’utilise et augmente considérablement sa puissance.

– Je comprends. Mais la personne qui le détient actuellement connaît-elle son pouvoir ?

– Il y a de grande chances, oui. Mes recherches m’ont permis de le situer dans un temple critonnien ancien, à quelques lieues d’ici. La tribu vénère un dieu local que j’ai trouvé représenté portant un sceptre à l’extrémité lumineuse. Probablement cet orbe monté sur un bâton de mage classique.

– Nous allons donc affronter un dieu qui lance des sorts et qui possède une babiole décuplant ses pouvoirs ? Mmmmh, tout ce que j’aime.

– Cela risque de ne pas être simple, en effet, mais le jeu en vaut la chandelle, j’en suis certain.

– C’est manifestement aussi l’avis des pontes du Royaume. Au moins il y aura de l’action. Quand partons-nous ?

– Nous devons d’abord trouver un guide.

– Vous ne connaissez pas la région ?

– Oh que si, je la connais même trop bien. Impossible de trouver son chemin dans le marais si on ne dispose pas d’un guide critonnien. Je connais un type un peu louche qui pourrait nous aider.

– Louche ?

– Oui, disons qu’il gagne sa vie d’expédients. Mais il connaît bien le marais.

– Bien, dites-moi où le trouver. Plus vite on sera partis de ce trou humide, mieux ça vaudra.”

Passablement énervé, l’atmosphère oppressante et moite de la ville lui pesant, Lex s’était résolu, une fois le nommé Nage-dans-les-Ombres recruté, à se reposer dans l’une des chambres spartiates de l’auberge. Les insectes ne l’avaient pas épargné cette nuit-là, et au matin, il avait rejoint ses compagnons avec soulagement.

Mais le voyage ne s’avérerait pas plus reposant.

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